« Le Centre d’Innovation Médicale en Hôpital vise à apporter des réponses innovantes concrètes à des problématiques que les patients ou les médecins rencontrent avec les pratiques médicales, ou des obstacles en lien direct avec la qualité, la sécurité ou l’organisation des soins de santé. », lit-on sur le site de lifetech.brussels. Plus concrètement, le cluster santé bruxellois lifetech.brussels a lancé en 2022 un appel à projets pour accompagner la mise en place d’une structure de l’innovation dans un hôpital de la région bruxelloise, C’est l’Hôpital Universitaire de Bruxelles qui a été sélectionné (l’H.U.B. rassemble depuis 2022 l’hôpital Erasme, l’Institut Jules Bordet et l’HUDERF – Hôpital Universitaire Des Enfants Reine Fabiola).
Rencontre avec deux de ses principaux instigateurs : Sacha Gougnard, responsable de la Cellule Transformation et Innovation de l’H.U.B, et Sophie Liénart, Coordinatrice de projet pour lifetech.brussels, le cluster santé de hub.brussels.
De g. à dr. : Sacha Gougnard (H.U.B), Sophie Liénart (hub.brussels) et Francis de Dree (H.U.B)
Sophie, Sacha, comment résumez-vous le Centre d’innovation en quelques mots ?
Sophie : Le fait d’être au coeur de l’écosystème de santé régional avec le cluster, nous a permis de dresser un certain nombre de constats entre ce qui se passe sur le marché des entreprises, et ce qui se passe au sein des hôpitaux. Le premier, c’est qu’il y a énormément d’innovations de HealthTech en Belgique, mais peu d’entre elles sont intégrées dans les hôpitaux. Les études (telle que celle menée par Antares en 2020 pour le ING Health Prospecting) expliquent cela par plusieurs éléments, à commencer par le manque de culture d’innovation forte au sein des établissements de soins, qui donne le cadre pour justement intégrer ces innovations. Il est également crucial de prendre en compte et de travailler avec les patients, d’avoir le retour de terrain des soignants et de toute personne impliquée de près ou de loin dans le processus. Le second constat, c’est qu’il y a peu d’échanges entre les hôpitaux et les startups. On l’a observé notamment pendant le Covid : les hôpitaux avaient besoin de prendre en charge les patients efficacement, et de l’autre côté on avait des entreprises avec des solutions intéressantes, capables de résilience sur leur manière de travailler pour proposer des nouvelles solutions. Pourtant entre les deux il n’y avait pas d’échange ni de communication. On voit que les entreprises ont énormément de mal à entrer en contact avec les hôpitaux, et encore plus avec la bonne personne au sein de ces structures. Le cluster a joué un rôle de courroie de transmission, et on a continué après la crise en créant différentes activités comme les Cafés de l’Innovation, des speed meetings hôpitaux-startups, etc.
Le projet de Centre d’innovation, c’est la suite de cette ligne : être à l’écoute des besoins des hôpitaux et de ce qu’ils recherchent, voir comment une solution technologique pourrait y répondre et faire en sorte que la rencontre soit fructueuse. En d’autres termes, travailler une logique de market pull et non plus de product/service push. Nous avons l’ambition de décloisonner les silos entreprises-hôpitaux.
Nous avons l’ambition de décloisonner les silos entreprises-hôpitaux.
Sacha : Ma position c’est exactement ça : mettre en place des personnes qui vont s’emparer des aspects d’innovation au sein d’un établissement de soins. J’ambitionne de développer le rôle d’Innovation manager, qui sert de courroie de transmission entre les établissements de soin et les entreprises. Ce doit
être une personne qui « parle le langage des deux mondes ».
Où en êtes-vous à l’heure actuelle ?
Sacha : La phase opérationnelle du projet pilote a commencé mi-mai 2024. Pour faire simple, on travaille avec des patients hospitalisés qui souffrent de pathologies oesophagiennes ou pulmonaires, et qui vont bénéficier d’un monitoring en continu postopératoire pendant 5 jours. Le projet est porté par un chirurgien spécialisé dans la chirurgie thoracique et oesophagienne. La première phase sera d’analyser les données collectées, pour évaluer la plus-value apportée. Sophie : On observe aujourd’hui que les institutions de soins prennent un rôle beaucoup plus proactif dans le pilotage de l’innovation, parce que les hôpitaux notamment, sont en recherche de solutions à des challenges très concrets qu’ils rencontrent. C’est dans cette perspective que nous testons, via ce projet-pilote, le premier objectif poursuivi par le Centre d’innovation, à savoir la structuration d’un processus d’innovation. Le deuxième objectif vise l’acculturation.
Qu’entendez-vous par « acculturation » ?
Sacha : Cela veut dire qu’il faudrait que les collaborateurs changent leur façon de voir l’innovation. Il faut qu’elle fasse partie de leur quotidien. Pour cela, il faut être transparent et communiquer un maximum sur nos succès, montrer ce qui fonctionne. C’est vraiment une étape d’awareness. Ensuite, il faut leur expliquer comment eux pourraient être également les acteurs de projets innovants. Sophie : Il est nécessaire de communiquer en effet, et très régulièrement. Une acculturation, c’est quelque chose qui prend des années. En 2023 on a eu 8 ou 9 workshops qui ont regroupé une dizaine de personnes de tous horizons au sein de l’H.U.B. On a fait ça pour les sensibiliser au fait qu’il y a beaucoup de changements en dehors de l’hôpital dont il faut avoir conscience et auxquels l’hôpital doit être attentif, parce qu’il va être impacté d’une manière ou d’une autre par ces transitions (démographique, environnementale, digitale, évolution de la connaissance…).
Qu’est-ce qui a motivé H.U.B à répondre à cet appel ?
Sacha : Le regroupement de l’H.U.B, en 2022, était une occasion pour les trois institutions de développer une vision commune, que ce soit d’un point de vue de la stratégie médicale, d’un point de vue opérationnel, mais également d’un point de vue de l’innovation. Dans un hôpital on est vite submergés par les tâches et les problèmes opérationnels quotidiens. Ce n’est pas une entreprise qui, par définition, a une marge financière qu’elle peut dédier à des projets d’innovation. D’ailleurs nous n’avons pas de budget lié à l’innovation pour le moment, et dans tous les cas il ne faut pas attendre d’avoir une santé financière impeccable pour se permettre d’innover.
Il ne faut pas attendre d’avoir une santé financière impeccable pour se permettre d’innover Nous avons postulé à ce projet pour avoir une première expérience et construire une stratégie d’innovation plus forte dans les années à venir. L’H.U.B a choisi de faire de cette volonté une priorité et d’être aidé par un organe externe pour développer une approche plus concrète, avec deux objectifs. D’abord, faire émerger un maximum d’idées et donner les outils pour que les gens deviennent acteurs du changement ; ensuite, que les personnes n’attendent pas que cela vienne d’en haut. Que vouliez-vous montrer avec ce projet pilote ? Sophie : Nous voulions prouver que la collaboration entre une startup et un hôpital se passe mieux si une culture d’innovation se met en place en parallèle et soutient l’ensemble. Que la cocréation entre le développeur de solution et l’équipe du projet pilote (composée notamment de l’équipe clinique et de la cellule Transformation et Innovation) est indispensable, un fonctionnement où le développeur de solution répond aux besoins du médecin et de son équipe, et adapte son produit.
Comment avez-vous procédé pour choisir le sujet du pilote ?
Sacha : Il y a eu un appel à candidature au sein de l’hôpital. Une des propositions a été retenue et le challenge a été de comprendre comment développer ce projet avec les acteurs du terrain par la suite. Sophie : Une cinquantaine de besoins ont été exprimés par le personnel de l’hôpital, tous domaines et tous niveaux hiérarchiques confondus. Nous avons sélectionné la proposition “il y a trop de fils sur mon patient”. Il s’agissait de supprimer les fils qui gênent les soins et /ou peuvent se déconnecter lors des mouvements du patient. Sacha : C’est un kiné qui l’a exprimée et qui a émis l’idée d’avoir des capteurs sans fils à fixer sur des électrodes autocollantes. La connexion se ferait vers un moniteur pour des soins intra hospitaliers ou vers un téléphone en extra hospitalier, pour envoyer les infos directement à un médecin. De l’émergence de l’idée à la concrétisation, beaucoup d’étapes doivent être prises en compte et nous voulons qu’à terme, les intervenants sachent comment partager leur idée pour qu’elle soit considérée, et comment cette idée peut être implémentée. C’est là une des grosses difficultés, parce qu’un hôpital c’est comme une grosse entreprise qui en regroupe une cinquantaine de petites avec des besoins différents. Quand on parle au chef de service, il réfléchit, innove et va avoir une vision stratégique par rapport à son propre service et pas par rapport à l’hôpital en tant que tel. Considérant cela, on a cherché comment promouvoir l’innovation au sein de tant de structures internes différentes.
Nous voulons qu’à terme, les intervenants sachent comment partager leur idée pour qu’elle soit considérée, et comment cette idée peut être implémentée (…) pour que les gens deviennent acteurs du changement.
Quelles sont vos ambitions de retombées pour la fin du projet ?
Sacha : Il faudra en tirer des leçons et définir une stratégie d’innovation concrète pour H.U.B. Avoir le résultat concret d’un projet va servir d’exemple et de source de communication en interne pour montrer ce qu’on a réussi à faire. Ensuite, je souhaite définir un processus clair depuis l’émergence d’une idée jusqu’à son implémentation, mettre des outils et des guidelines en place. Un bon indicateur de succès de l’ensemble, ce sera le nombre de projets qu’on mènera à bien, et le nombre d’idées qui arriveront jusqu’à nous. Sophie : Le projet pilote, ce n’est qu’une partie de ce qu’on a fait avec le Centre d’innovation, c’est un peu sa concrétisation. On a également travaillé sur un guide pratique qui reprend les différentes étapes qui structurent un processus d’innovation et qui explique très concrètement les do’s and don’ts, les choses auxquelles il faut penser, les pièges éventuels, les obstacles qu’on a rencontrés, etc. C’est à la fois un guide théorique et un compilé de retours d’expériences pour les professionnels de soin et les développeurs de solution. Une dizaine de capsules vidéos ont également été réalisées dans 4 pays différents, avec 8 hôpitaux, 1 institution de soins à domicile et 1 entreprise de l’écosystème santé. Elles sont disponibles sur notre site web (https://lifetech.brussels/centre-dinnovation/). Nous souhaitons inspirer les professionnels de santé à l’importance du développement d’une culture d’innovation et à la mise en place de projets innovants. Des échanges pourraient démarrer, des alliances se créer, peut-être même des projets en collaboration. Chacun a en effet encore beaucoup à apprendre des autres, et nous espérons que les vidéos pourront permettre de lancer le débat.
Le projet pilote n’est qu’une partie de ce qu’on a fait dans le Centre d’innovation. (…) On a également travaillé sur un guide pratique qui reprend les différentes étapes qui structurent un processus d’innovation et qui explique les “do’s” and “don’ts”.
Pour clôturer, qu’aimeriez-vous dire à la personne qui lit votre interview ?
Sacha : L’innovation, même si c’est un terme qui couvre beaucoup de choses, doit faire partie de l’ADN d’un hôpital académique et plus largement du secteur de la santé. C’est un milieu qui ne cesse d’être impacté par l’évolution technologique et au-delà. Il faut donc lui donner la place qu’elle mérite dans les décisions, et se positionner à la fois en interne et en collaboration avec d’autres institutions pour pouvoir rendre ça le plus tangible possible au sein de l’hôpital. Sophie : Il y a encore trop d’entreprises qui développent des solutions “dans leur coin” et qui vont ensuite les présenter à un hôpital. L’hôpital ne sait pas comment réagir, ne sait pas s’il en a besoin. Nous voulons encourager les entreprises à avoir,
avant même de développer quoi que ce soit, des discussions approfondies avec le monde de l’hôpital pour essayer de comprendre en profondeur les besoins prioritaires de ces structures. Il est nécessaire d’interroger plusieurs personnes pour comprendre toutes les facettes de ces besoins. Ce n’est qu’après cette étape que les entreprises pourraient développer la solution, en maintenant des échanges réguliers avec l’hôpital, voire en cocréant avec lui.
Il y a encore trop d’entreprises qui développent des solutions “dans leur coin” et qui vont ensuite les présenter à un hôpital.